samedi 11 février 2012

A) Cités utopiques dans la littérature

  L'idée utopique est très présente dans la littérature, elle est à la fois un genre à part entière et également traitée dans l'ensemble des genres littéraires. L'utopie littéraire présente en générale une cité utopique, volontairement indéfinie dans le temps et dans l'espace, où tout ne serait qu'harmonie et bonheur entre les habitants. Nous étudierons ces utopies de fiction à travers trois œuvres littéraires, toutes écrites à des périodes différentes et dans des genres spécifiques. Après que Platon ait inventé le concept de l'utopie avec La Republique au IIIème siècle, Thomas More, dans son oeuvre majeure Utopia donne un nom à ce concept. Ecrite en 1516, elle est l'idée précurseur de l'idée de l'utopie même. Elle décrit une île au nom éponyme, complètement inventée et se situant dans l'hémisphère sud. La deuxième de ces œuvres portera sur l'Eldorado, présenté dans le roman Candide de Voltaire, en 1759, cité utopique enfouie dans le "Nouveau Monde", où l'or est en abondance. Enfin, nous étudierons l'Ile aux esclaves, pièce de théâtre de Marivaux qui a été publiée en 1725. L'intrigue se déroule donc dans l'île imaginaire qu'est l'île aux esclaves et dans laquelle la relation maître-valet est inversé afin que chacun rectifie ses travers.

  Utopia est une satire de la société représentant un mode de vie alternatif dans un lieu qui n'existe pas, où son auteur tente de faire renaître les hommes à leur véritable nature. Il a pour vocation de supprimer les vices de l'homme avec des règles précises. La propriété privée et la monnaie sont abolies, les habitants se vêtissent de la même façon et changent de domiciles tous les 10 ans, celui-ci est déterminé par tirage au sort afin d'être attribuer démocratiquement, ainsi, il n'existe plus ni riches ni pauvres, tous les utopiens sont à égalité. Pour rester sur ce même principe chacun travaille 6h par jour (des magistrats élus veillent à ce que le travail soit régulier), le reste du temps peut être consacré à l'étude et à restaurer la rectitude et la pureté données par Dieu. De même, les enfants reçoivent une instruction que ce soit les garçons comme les filles, la vie familiale et collective est omniprésente dans la cité. Cependant, l'égalité des individus passe par des restrictions de certaines libertés. En effet, ne serait-ce que pour se déplacer sur l'île il faut une autorisation. De plus, les femmes sont soumises à leurs maris, les enfants aux parents et les plus jeunes aux aînés, l'esclavage existe mais n'est pas héréditaire, il est la sanction d'un crime, les individus n'ont donc pas tous la même valeur. Les malades et les vieillards sont pris en charge par la collectivité (sauf s'ils sont euthanasiés avec leur consentement). Les amours clandestins et adultères sont punis par la loi et considérés comme des crimes alors que les plaisirs droits et honnêtes sont encouragés. Les utopiens sont donc pieux et les mœurs sont surveillées par des prêtres. Les habitants ne font pas la guerre, ils paient des mercenaires pour leur protection.
  L'auteur critique la société du XVIème siècle qui, selon lui, n'est pas assez encadrée, les mœurs religieuses ne sont pas assez respectées et les hommes ne vivent pas assez solitaire les uns avec les autres. Par l'utilisation du roman, il nous donne un aspect assez descriptif de l'île et ainsi retranscrit précisément son idée.


  La seconde utopie littéraire que nous étudierons est l'Eldorado, présente dans l’œuvre célèbre de Voltaire : Candide. Dans les chapitres 17 et 18, Voltaire nous présente la cité utopique que découvre Candide et Cacambo, lorsqu'ils sont perdus dans le "Nouveau Monde". Ils errent depuis déjà plusieurs jours dans l'immense territoire qu'est l'Amérique, quand, par hasard, ils découvrent l'Eldorado. De ce fait cette cité rejoint l'utopie, qui, par son origine, est un lieu indéfini, qui n'est jamais situé précisément. C'est le cas de l'Eldorado, caché aux yeux des Hommes, qui ignorent sa véritable existence. Lorsqu'ils arrivent dans la cité, ils sont éblouis par la multitude de joyaux recouvrant le sol et étonnés du désintérêt des habitants pour ce qui leur apparaît comme une richesse incommensurable. Effectivement, la préciosité du sol ainsi que de l'ensemble de leur cité leur apparaît aux résidents comme d'une grande banalité. Ce qui, dans le monde ou vit Candide, apporte richesse et pouvoir, est ici utilisé comme simples matériaux pour construire leurs habitations "bâties comme des palais d'Europe" et pour se vêtir avec des "draps d'or". Ainsi cette fortune est considéré comme dérisoire : les enfants s'amusent avec un palet en or. L'étonnement des deux arrivants est accentué par la gratuité de ces biens et montre la générosité dont font preuve les habitants : à leur arrivée les autochtones leur offrent toit et couvert en montrant une sympathie et une honnêteté naturelle. La société se présente comme une abondance du plaisir des sens. On le retrouve par la stimulation de ces cinq derniers : plaisir de l'ouïe avec une "musique très agréable"; plaisir olfactif avec des "odeurs délicieuses"; plaisir gustatif lors des repas avec des "ragoûts exquis" et des "pâtisseries délicieuses"; ainsi que le plaisir visuel avec une beauté présente dans le paysages autant que chez les habitants, et leurs créations fait dans "un espèce de cristal de roche". La connivence entre les habitants et les voyageurs dans le ravissement des sens accentue un bonheur collectif. En effet, dans cette société les habitants sont véritablement heureux et aiment montrer leur bonheur. Les autochtones manifestent un grand savoir vivre par une politesse, une honnêteté et une générosité exemplaire. Il y a un parfaite équilibre dans cet Eldorado où l'on compte autant de filles que de garçons ce qui apporte une stabilité à cette société. Ici, suivant l'idée de l'utopie, même la nature (dans la génétique) apporte son aide pour l'obtention d'une perfection irréalisable.
  Candide étant un conte philosophique, il a donc pour but de transmettre des idées à portée philosophique. On peut considérer que, dans cette partie de l’œuvre, Voltaire, en critiquant la société, tente de communiquer le concept de l'utopie.


L'île des esclaves de Marivaux, est notre dernière étude d’œuvre d'utopie littéraire. Dans cette pièce de théâtre, deux personnages, Iphicrate, et son valet Arlequin, font naufrage sur une île particulière. En effet, c'est l'île des Esclaves, créée il y a plusieurs centaines d'années par des esclaves révoltés. La vie sur cette île est inversée, en premier lieu ils échangent de rôle : le maître devient valet et vice et versa. Trivelin, dirigeant de l'île, leur énonce les règles de l'île. Comme seconde étape les deux personnages doivent dépeindre à l'autre la vision qu'il porte sur lui, portrait qui se doit d'être la dénonciation des aspects négatifs de la personne : « Il est nécessaire que vous m’en donniez un portrait, qui se doit faire devant la personne qu’on peint, afin qu’elle se connaisse, qu’elle rougisse de ses ridicules, si elle en a, et qu’elle se corrige. » Il s’agit de rectifier l’orgueil et la barbarie des maîtres en leur inculquant une leçon plutôt que de se venger. Ce changement de situation permet aux protagonistes de se rendre compte de la vie de leurs esclaves, et d'envisager le monde différemment. En effet, Iphicrate, devenu le valet, comprend alors la souffrance qu'Arlequin a enduré, et s'en repentira. De son côté, Arlequin comprendra certains des reproches qui lui sont faits comme celui d'abusé de l'alcool, ou celui d'avoir intérieurement envie d'être à la place du maître, il pardonnera donc à Iphicrate ses mauvais traitements. A la fin de la pièce, les rôles sont de nouveau inversés, mais chacun a pris conscience de la position de l'autre.
  Le message que Marivaux a voulut faire passer dans son œuvre est la profondeur de l'aliénation sociale, et de la perversion du système maître-valet. La position de maître, donne un pouvoir sur des individus et la possibilité d'exercer son autorité comme bon lui semble, ce pouvoir étant à sa portée, les vices propres à l'homme le pousse vers la fatalité de l'utiliser à mauvais escient. De même, la position de valet incite l'individu à se soumettre à l'autorité, à respecter les choix de son maître et ne pas le remettre en question. Seuls quelques personnes ont la capacité à résister à ce conditionnement. Effectivement, seule une minorité de maîtres vont naturellement traiter leurs esclaves comme des hommes et les considérer comme leur égal. Pareillement, les valets à avoir la capacité de résister à l'aliénation, à pouvoir remettre en question l'autorité restent minoritaires.L'indétermination de l'emplacement de l'île nous rappelle déjà à l'idée utopique et le choix de l'île comme lieu n'est pas sans faire écho à l'Utopia de Thomas More. Cependant, l'aspect véritablement utopique de l’œuvre de Marivaux est bien dans son contenu. En effet, l'idée même de vouloir échanger les rôles dans la société semble totalement irréalisable. Cela permettrait à des petites gens d'accéder à un niveau de vie nettement supérieur et d'obtenir un titre beaucoup reconnu dans la société.Cependant, Marivaux démontre aussi que le rang social n'a pas tant d'importance, en rétrogradant les maîtres au rang de valets. Les maîtres découvrent l'importance du rôle du valet, et sont ainsi sensés arrêter de les dénigrer. Marivaux se joue de l'échelle sociale, et prouve que tout le monde a sa valeur propre, et que les moins puissants valent autant que ceux de la classe dirigeante. La mise en scène théâtrale apporte une dimension comique à la pièce évitant la scandale de ce concept révolutionnaire.

  L'utopie de fiction littéraire, a pour vocation de tenter de corriger les défauts de l'Homme afin d'améliorer la société dans son fonctionnement. On constate ici que la nature humaine décrite dans les trois œuvres présentent des hommes foncièrement bon ou en devenir. Ces œuvres littéraires bien que d'un genre différent manifestent toute cette volonté de faire évoluer l'humanité en transformant les hommes eux-mêmes. On peut alors se demander si ces utopies seraient réalisables dans la réalité car il est difficile d'imaginer les hommes se détacher de l'envie de fortune, de leur titre leur accordant des privilèges ou bien oublier leur qualité d'individu en acceptant des règles régissant toute leur vie.

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